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Lettre de Gérard Grisey à se mettre sous le coude

Je suis déjà atteint, il faut bien le concéder, puisque ce texte d’un des fondateurs de la musique spectrale, me parle !

http://www.musiquefrancaise.net/echo/voir_sujet.php?ID=104

http://www.musimediane.com/numero2/Levy/Texte.html

Venue au monde dans les années soixante quinze, curieusement à peu près en même temps que la géométrie fractale, la musique spectrale proposait une organisation formelle et un matériau sonore directement issus de la physique des sons telle que la science et l’accès à la microphonie nous les donnaient alors à découvrir.

Aucun musicien n’a attendu la musique spectrale pour utiliser ou mettre en valeur des spectres sonores pas plus qu’on a attendu le dodécaphonisme pour composer de la musique chromatique mais de même que la série n’est pas affaire de chromatisme, la musique spectrale n’est pas affaire de couleur sonore.
Pour moi, la musique spectrale a une origine temporelle. Elle a été nécessaire à un moment donné de notre histoire pour donner forme à l’exploration d’un temps extrêmement dilaté et pour permettre le contrôle du plus petit degré de changement entre un son et le suivant.
La série a dissocié les paramètres, bousculé les concepts de verticalité et d’horizontalité, d’harmonie et de mélodie. Mais dans la musique sérielle le jeu des permutations fait obstacle à la mémoire, il interdit tout renouvellement radical et toutes les formes de surprises, d’excès et de déviations que le discours tonal proposait à l’écoute.
En somme la musique sérielle neutralise le paramètre des hauteurs mais cette neutralisation involontaire permet la concentration et l’émergence de nouvelles techniques devenues nécessaires pour éviter toute monotonie.
Ainsi, par exemple, de l’hétérophonie à densité harmonique et temporelle variable, du choix de l’instrumentation et des combinaisons de timbres, de l’explosion des registres ou du jeu sur l’ajout et le retrait d’ornements.

Ce qui change radicalement dans la musique spectrale, c’est l’attitude du compositeur face aux faisceaux de forces constituant les sons et face au temps nécessaire à leur émergence. Dès son origine, elle se caractérise par une hypnose de la lenteur et par une véritable obsession de la continuité, du seuil, du transitoire et des formes dynamiques. Elle s’oppose radicalement à un formalisme qui refuserait d’inclure le temps et l’entropie comme les fondements mêmes de toute dimension musicale.
Forte d’une écologie des sons, elle intègre le temps non plus comme une donnée extérieure appliquée à un matériau sonore considéré comme hors-temps, mais comme une donnée constituante du son lui-même. Elle s’efforce de rendre palpable le temps sous la forme “impersonnelle” de durées apparemment fort éloignées du langage mais sans doute proches d’autres rythmes biologiques qu’il nous reste à découvrir. Enfin, c’est le son et sa matière même qui génèrent par projections ou inductions de nouvelles formes musicales.
Pour terminer cette apologie, j’ajouterais volontiers l’érotisme, celui de l’écoute et du jardin des délices, lorsque le plaisir (la délectation aurait dit Poussin) naît d’une adéquation totale entre le corps percevant et l’esprit concevant.
À cause d’une véritable manie de la fusion des sons, n’a-t-on pas été jusqu’à parler de régression ? ( au sens psychanalytique bien entendu !)
Enfin, ce désir utopique d’un langage musical articulé sur des données scientifiques, rêve toujours renouvelé d’un art-science, apparente les compositeurs inventeurs du spectralisme aux artistes du Quattrocento.

Évaluons rapidement quelques conséquences notoires qui ne concernent pas que les compositeurs spectraux orthodoxes, voire intégristes !

Conséquences harmoniques et timbriques :
• Approche plus “écologique” des timbres, des bruits et des intervalles.
• Intégration de l’harmonie et du timbre au sein d’une même entité.
• Intégration de tous les sons (du bruit blanc au son sinusoïdal).
• Création de nouvelles fonctions harmoniques incluant les notions de complémentarités (acoustiques et non chromatiques) et de hiérarchies des complexités.
• Rétablissement dans un contexte plus ample des notions de consonances-dissonances et de modulations.
• Éclatement du système tempéré.
• Établissement de nouvelles échelles et – à terme – réinvention mélodique.

Conséquences temporelles :
• Attitude plus attentive à la phénoménologie de la perception.
• Intégration du temps comme objet même de la forme.
• Exploration d’un temps “étiré” et d’un temps “contracté” différents de celui des rythmes du langage.
• Réactualisation – à terme – d’une métrique souple et exploration des seuils entre rythmes et durées.
• Dialectique possible entre des musiques évoluant dans des temps radicalement différents.

Conséquences formelles :
• Approche plus “organique” de la forme par auto-engendrement des sons.
• Exploration de toutes les formes de fusion et de seuil entre les différents paramètres.
• Jeu possible entre la fusion et la continuité d’une part, et la diffraction et la discontinuité d’autre part.
• Invention du processus opposé au développement traditionnel.
• Utilisation d’archétypes sonores neutres et souples facilitant la perception et la mémorisation des processus.
• Superposition, mise en phase ou hors-phase de processus contradictoires, partiels ou même suggérés.
• Superposition, et juxtaposition de formes déroulées dans des temps radicalement différents.

Vingt ans plus tard, les compositeurs à l’origine de ce mouvement ont évolué vers des horizons bien différents et l’heure n’est plus au terrorisme des utopies.
Cependant, quelque chose de cette formidable aventure les maintient en orbite, loin de tous les retours à des musiques traditionelles plus ou moins bien assimilées, refuges des égarés du voyage, consolations de ceux qui ne sont nés ni pour l’aventure ni pour la découverte quand ce n’est pas simple complaisance médiatique !
Nous avons passé un point de non retour et les conséquences pour les langages musicaux sont suffisamment explicites pour que d’autres générations de compositeurs s’y intéressent.
Il ne nous est pas donné de savoir ce que l’histoire musicale voudra bien retenir de notre cheminement mais nous avons vécu et nous vivons cette aventure dans le bonheur et l’enthousiasme car il n’est pas nécessaire de sombrer dans le passéisme ni dans l’imitation servile de nos illustres prédécesseurs pour rester au service de la musique.
L’aventure spectrale permet de réactualiser sans imitation les fondements de la musique occidentale car elle n’est pas une technique close mais une attitude. Aussi toute idée de rupture avec la tradition musicale me semblera-t-elle toujours illusoire.
L’architecture magnifie l’Espace disait Le Corbusier.
Aujourd’hui comme jadis la musique transfigure le Temps.

 

 

Allez une petite vidéo, j’ai pas dit un clip hein…

 

httpv://www.youtube.com/watch?v=hB8UiPc2FwY